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Le Malheur : the metaphysical mark

Le Malheur (pronounced mal-urr), literally "unhappiness", but often translated as "affliction" (we could also use "woe" or "wretchedness"), is a key concept for Weil, which she eloquently describes in Thoughts without order concerning the love of God, in an essay entitled L'amour de Dieu et le malheur (87-89) (The Love of God and Malheur):

   
La plus grande énigme de la vie humaine, ce n'est pas la souffrance, c'est le malheur. Il n'est pas étonnant que des innocents soient tués, torturés, chassés de leur pays, réduits à la misère ou à l'esclavage, enfermés dans des camps ou des cachots, puisqu'il se trouve des criminels pour accomplir ces actions. Il n'est pas étonnant non plus que la maladie impose de longues souffrances qui paralysent la vie et en font une image de la mort, puisque la nature est soumise à un jeu aveugle de nécessités mécaniques. Mais il est étonnant que Dieu ait donné au malheur la puissance de saisir l'âme elle-même des innocents et de s'en emparer en maître souverain. Dans le meilleur des cas, celui que marque le malheur ne gardera que la moitié de son âme. The greatest enigma of human life is not suffering, it's malheur. It is not surprising that innocents are killed, tortured, chased from their countries, reduced to misery or slavery, locked in camps or cells, since there are criminals who will accomplish these actions. It is no more surprising that sickness imposes long suffering that paralyzes life and makes it an image of death, since nature must submit to the blind play of mechanical necessities. But it is surprising that God has given malheur the power to seize the very soul of the innocent and to take possession of it as a sovereign ruler. In the best of cases, the one who is marked by malheur will only keep half his soul.
Ceux à qui il est arrivé un de ces coups après lesquels un être se débat sur le sol comme un ver à moitié écrasé, ceux-là n'ont pas de mots pour exprimer ce qui leur arrive. Parmi les gens qu'ils rencontrent, ceux qui, même ayant beaucoup souffert, n'ont jamais eu contact avec le malheur proprement dit n'ont aucune idée de ce que c'est. C'est quelque chose de spécifique, irréductible à toute autre chose, comme les sons, dont rien ne peut donner aucune idée à un sourd-muet. Et ceux qui ont été eux-mêmes mutilés par le malheur sont hors d'état de porter secours à qui que ce soit et presque incapables même de le désirer. Ainsi la compassion à l'égard des malheureux est une impossibilité. Quand elle se produit vraiment, c'est un miracle plus surprenant que la marche sur les eaux, la guérison des malades et même la résurrection d'un mort. Those who have received one of those blows that leave a being wriggling on the ground like a worm half crushed, those people don't have words to express what is happening to them. Among the people they meet, those who, even having suffered much, have never been in contact with malheur itself have no idea what it is. It is something specific, irreducible to any other thing, just as there is no way to give an idea of sounds to deaf-mutes. And those who have themselves been mutilated by malheur are out of commission and cannot offer help to any one and are almost incapable of even desiring to do so. Thus compassion for those with malheur is an impossibility. When it actually occurs, it is a miracle more surprising than walking on water, healing the sick and even the resurrection of the dead.
Le malheur a contraint le Christ à supplier d'être épargné, à chercher des consolations auprès des hommes, à se croire abandonné de son Père. Il a contraint un juste à crier contre Dieu, un juste aussi parfait que la nature seulement humaine le comporte, davantage peut-être, si Job est moins un personnage historique qu'une figure du Christ. « Il se rit du malheur des innocents». Ce n'est pas un blasphème, c'est un cri authentique arraché à la douleur. Le Livre de Job, d'un bout à l'autre, est une pure merveille de vérité et d'authenticité. Au sujet du malheur, tout ce qui s'écarte de ce modèle est plus ou moins souillé de mensonge. Malheur obliged Christ to pray to be spared, to seek consolation among men, to believe himself abandoned by his Father. It obliged a just man to cry out against God, a just man as perfect as is possible in human nature, perhaps more so, since Job is less a historical figure than a figure of Christ. "He laughs of the malheur of the innocent." This is not blasphemy, it's an authentic cry torn from pain. The Book of Job, from one end to the other, is a pure marvel of truth and authenticity. On the subject of malheur, everything that departs from this model is more or less sullied by lies.
Le malheur rend Dieu absent pendant un temps, plus absent qu'un mort, plus absent que la lumière dans un cachot complètement ténébreux. Une sorte d'horreur submerge toute l'âme. Pendant cette absence il n'y a rien à aimer. Ce qui est terrible, c'est que si, dans ces ténèbres où il n'y a rien à aimer, l'âme cesse d'aimer, l'absence de Dieu devient définitive. Il faut que l'âme continue à aimer à vide, ou du moins à vouloir aimer, fût-ce avec une partie infinitésimale d'elle-même. Alors un jour Dieu vient se montrer lui-même à elle et lui révéler la beauté du monde, comme ce fut le cas pour Job. Mais si l'âme cesse d'aimer, elle tombe dès ici-bas dans quelque chose de presque équivalent à l'enfer. Malheur makes God absent for a time, more absent than a dead man, more absent than light in a completely darkened prison. A sort of horror submerges the entire soul. During this absence there is nothing to love. What is terrible is that if, in the gloom where there is nothing to love, the soul ceases to love, the absence of God becomes definitive. The soul must continue to love on empty, or at least continue to want to love, be it with an infinitesimal part of itself. Then one day God will show himself to it and reveal the beauty of the world as happened to Job. But if the soul ceased to love, it falls into something down here that is almost equivalent to hell.
C'est pourquoi ceux qui précipitent dans le malheur des hommes non préparés à le recevoir tuent des âmes. D'autre part, à une époque comme la nôtre, où le malheur est suspendu sur tous, le secours apporté aux âmes n'est efficace que s'il va jusqu'à les préparer réellement au malheur. Ce n'est pas peu de chose. That is why those who push into malheur men who are not ready to receive it are killers of souls. Also, in an age like ours where malheur is suspended over all, the help that is brought to souls is only efficient if it goes as far as to really prepare them for malheur. This is no small task.
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